Enceinte
de mon deuxième enfant, j'ai commencé à m'interroger
plus profondément sur la manière dont je voulais accueillir
ce bébé - mais à 7 mois de grossesse. Pour la naissance
de Luna j'avais choisi une maternité "avancée",
censée respecter la nature jusqu'à un certain point, favoriser
l'allaitement etc., mais l'expérience avait été à
l'opposée des promesses. Accouchement déclenché pour
dépassement de terme, donc médicalisé au possible,
et la suite avait été épouvantable.
J'avais choisi cette fois-ci une autre maternité très bien
"notée", en me disant que de toutes façons pour
l'allaitement et le reste, je ferai respecter mes choix.
Mais en lisant plusieurs livres sur la naissance, et en commençant
à fouiner un peu, je découvris peu à peu que je voulais
bien plus (bien moins ?) que ce que l'hôpital me proposait dans
son pack naissance.. Je découvrais que l'on pouvait être
accompagné par une sage-femme, incroyable ! , et j'en contactais
2 qui avaient un plateau technique dans une clinique, mais vu mon terme,
ils n'avaient plus de place.
Puis je découvris l'accouchement à la maison.
Je pensais que c'était plutôt réservé aux hippies
du Larzac pour leur 6ème enfant, à vrai dire. Puis des gens
formidables m'ont parlé de cette possibilité, des sages-femmes
aussi, qui nous ont mis en contact avec des parents ayant vécu
cette expérience. Mon homme, qui était très réticent,
en est venu peu à peu à accepter cette idée jusqu'à
en être pleinement convaincu quand nous avons rencontré la
sage-femme qui a bien voulu nous accompagner.
Nous avons aussi découvert à quel point c'était mal
vu, et après la violence des premières réactions
dans notre entourage sur l'accouchement à domicile, nous avons
décidé de ne plus en parler jusqu'à la naissance.
En revanche l'haptothérapeute qui nous suit nous a soutenu pleinement,
et nous avons fait 2 séances conjointes avec la sage-femme.
Et puis...
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Après ces 2
derniers mois particulièrement pénibles, non à cause
de la grossesse mais des circonstances familiales tristes et d'une épouvantable
sciatique qui m'empêche de dormir et me fait beaucoup souffrir,
me voilà à terme. Le terme "officiel" est le 11,
mais pour moi selon mes cycles c'est le 7.
Au cours de ces 2 mois aussi nous avons remis en cause l'hôpital
et la fatalité des accouchements médicalisés, et
nous avons beaucoup tourné et cherché jusqu'à choisir
d'accueillir Esteban chez nous. Nous avons eu la chance de tomber sur
des personnes merveilleuses qui nous ont aidés, et de rencontrer
la sage-femme qui peut nous accompagner, bien que le terme soit très
proche.
Et ce jeudi 7 novembre au soir justement, les contractions
commencent...
C'est régulier, toutes les 7mn, assez fort, dans le bas du ventre,
je sens que c'est parti, la machine se met en marche.
Je perds du bouchon muqueux, ça me fait drôle. Je vais en
perdre out du long de l'accouchement, très intrigant pour moi-même
si on peut en refabriquer, ça me surprend à chaque fois.
Il est 23h30, ma famille dort et je parle avec Hélène par
Internet, ma petite lumière verte qui va m'accompagner toute la
nuit. Les contractions se rapprochent, toutes les 4mn, mais je sais que
j'ai le temps. Je vais prendre un bain, et quel bonheur de découvrir
que je peux m'allonger dans la baignoire : ça faisait 2 mois qu'à
cause de la sciatique je ne pouvais pas supporter cette position. Les
contractions s'espacent mais restent régulières.
Je m'allonge ensuite, il est 2h, et je somnole entre 2 contractions jusque
vers 4h où elles sont trop gênantes pour que je puisse rester
en demi-sommeil..
Je retrouve mon Hélène sur Internet qui m'attend. Elle est
aux Etats-Unis donc il n'est pas 4h du matin pour elle, mais elle veille
tout de même pour m'accompagner. Je pense qu'elle est bien plus
nerveuse que moi, qui suit extrêmement sereine, un état d'ailleurs
que je ne connais pas vraiment - je suis plutôt du genre un peu
speed légèrement angoissée ; -). Hélène
compte les minutes entre les contractions avec moi, elle sait qu'il y
en a une quand je cesse d'écrire. Elle me presse de réveiller
mon homme, d'appeler la sage-femme, mais je sais qu'il me reste un bon
bout de chemin. Elle me tient la main virtuellement, c'est bon d'être
entre femmes, entre amie dans ces heures qui précèdent le
"vrai" début du travail, le moment où le jour
se lèvera, où je préviendrais tout le monde, et sans
doute le jour où je verrais mon fils. Je l'embrasse fort quand
elle va se coucher, et je vais prendre un autre bain qui fait à
nouveau repasser les contractions de toutes les 4mn à toutes les
8mn.
J'aime cette nuit, être là seule et en même temps accompagnée
par ma petite fée, à attendre Esteban, à sentir comment
mon corps se prépare. Et puis je n'ai plus mal à ma jambe,
2 mois de souffrance qui se sont envolés en quelques heures de
contractions.
L'ensemble me rend euphorique, et plus les contractions sont douloureuses,
mieux je me sens.
A 7h30 j'appelle la sage-femme pour lui demander son avis,
et la prévenir qu'il semblerait que ce soit pour aujourd'hui. Ma
mère part en réunion à 8h, et je me demande si je
la stoppe ou pas. La sage-femme part à un accouchement, mais c'est
imminent, elle peut être chez nous à midi. Je lui dis que
non tout va bien pas d'urgence, je voulais juste la prévenir. J'appelle
ma mère, qui commence par proposer de venir après sa réunion
chercher Luna. Mes contractions sont plus douloureuses après ce
coup de fil, je m'inquiète un peu.. Ma mère rappelle 5mn
après, elle est trop nerveuse pour cette réunion, elle va
venir finalement. Ouf, je suis très soulagée !
Elle arrive vers 9h30, mon homme et Luna dorment encore. Ils se réveillent
peu après et sont très surpris de voir ma mère !!
Juanlu : "tu accouches là ? Maintenant ???"
Le temps que nous préparions la valise de Luna et que nous la fassions
déjeuner, je suis assez nerveuse, mes contractions sont plus douloureuses,
je veux être seule avec Juanlu, c'est vraiment important. J'ai les
larmes aux yeux au moment de dire au revoir à Luna, ça me
parait énorme, la prochaine fois que je la verrai j'aurai accouché.
Ma petite fille part joyeusement, heureusement.
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Je
m'allonge pendant que Juanlu prépare l'appartement. Il dégage
un peu le salon des tous les jouets, nettoie la cuisine, s'active dans
la maison pour que tout soit en place. Finalement il vient s'allonger
avec moi, lové derrière moi, ses mains sur mon ventre en
contact avec notre enfant qui vient lui dire bonjour. Nous sommes bien,
en parfaite harmonie. Nous n'avons plus aucun doute sur notre choix d'accueillir
cet enfant chez nous, pourtant j'avais peur que le moment venu nous prenions
peur. Au contraire, et ce sentiment va se renforcer d'heure en heure.
La sage-femme, F.,
appelle et demande où nous en sommes. Elle vient d'accueillir un
bébé ! Je lui dis de prendre tout son temps, les contractions
continuent à être régulières mais toujours
espacées de 7mn. J'ai même peur que ce ne soit pas les bonnes,
mais je n'ai pas le temps de lui dire.
Nous restons dans les bras l'un de l'autre jusqu'à son arrivée
vers 13h. Je me sens bête, j'ai l'impression de la déranger,
elle doit annuler ses rendez-vous pour nous. D'ailleurs les contractions
perdent en intensité depuis qu'elle est là. Pourquoi ai-je
toujours aussi peur de décevoir les gens, de gêner, même
le jour de mon accouchement ? |
En plein travail ;-) |
Je
retourne dans mon lit pendant que F et Juanlu déjeunent chinois,
l'odeur est trop forte pour moi. Je ne prends qu'un peu de pain et de
kiri, je n'ai vraiment pas faim, moi qui me réjouissait de pouvoir
manger pendant mon accouchement, tralalère l'hôpital, cette
liberté là ne me sert pas à grand chose ;-) En revanche
ils me servent du thé toute la journée, et ça c'est
vraiment agréable !
Nous nous installons sur des poufs dans le salon, Juanlu sur un pouf haut
derrière moi et moi sur un pouf bas entre ses jambes, il peut ainsi
m'enlacer, la position haptonomique revue et corrigée version souk.
Les contractions augmentent en intensité mais vraiment peu à
peu. Je voudrais avoir plus mal, que ça se précise, mais
F me rassure : ce n'est pas parce que je ne souffre pas qu'elles ne sont
pas efficaces. L'haptonomie fait que nous gérons avec sérénité.
Je suis dans le prolongement avec mon homme, il est vraiment entièrement
avec moi, disponible. Nous écoutons Manu Chao et Paolo Conte en
boucle tout du long qui nous bercent gentiment.
F. est tellement discrète,
je ne m'attendais pas à ça. D'ailleurs à quoi je
m'attendais, en fait ? Sans doute à la version plus "coach"
que j'ai connu à l'hôpital. Un peu destabilisant au début;
c'est finalement tellement agréable. Elle reste en retrait mais
elle est là, bienveillante et silencieuse. A la fin des contractions
je la regarde et elle me rassure du regard.
Vers 16h ça devient plus costaud, mais ça me fait rire,
mon bébé arrive. Les contractions me prennent par surprise,
autant je les sentais monter avant, autant là elles me saisissent
d'un coup alors que je suis dans le couloir, dans la salle de bain...
Mon homme accourt dans ces cas là pour venir reprendre contact
pour gérer la douleur. J'aime assez être accroupie dans l'entrée
d'ailleurs, qui l'eut cru ? Les pauses entre les contractions m'étonnent,
la douleur disparaît et on peut respirer, alors que pour Luna j'ai
eu tout du long une douleur sourde dans les reins. Il faut dire aussi
que l'accouchement avait été déclenché et
j'étais inondée de syntho.
F. écoute de temps en temps le bébé, et il n'a rien
à faire des contractions. C'est très rassurant.
Je reste extrêmement
sereine, je suis bien, si proche de mon homme, si pleine d'amour.
Vers 19h30 - je pense-
la douleur devient plus intense, et bien loin facile à gérer.
J'ai besoin de bouger, le mouvement est ce qui me permet d'accompagner
les contractions. A genou je m'étire vers le haut et je redescends
tout en soufflant. Je pousse des "oooooooooooooooooooooh" long
aussi qui me font beaucoup de bien. F. m'accompagne dans des sons plus
graves, c'est bon. Mais la douleur envahit les os, et c'est là
que ça devient nettement moins facile. Je ris et je pleure à
la fin des contractions, cela me soulage, un trop plein d'émotions
qui se vide.
Nous allons un peu sur le lit, j'aime sentir mon homme derrière
moi, mais au moment des contractions je me dégage, je ne peux pas
supporter qu'il me touche le ventre. En revanche il faut qu'il me masse
les reins, c'est vital, masse-moi mon amour. C'est au niveau du sacrum
que ça commence à être très douloureux, la
tête de mon bébé appuie, ça bouge et j'ai l'impression
que mes os vont exploser.
Nous repartons dans
le salon, je demande à F. encore combien de temps ça peut
durer, je suis fatiguée, j'ai peur de craquer, de ne plus gérer,
de ne pas être à la hauteur, de décevoir mon homme,
mon bébé, F.. Je me sens ridicule, j'ai l'impression de
me voir de haut en train de gesticuler, je n'arrive pas à me laisser
aller.
F. me propose de regarder le col, pour première fois tout de même,
et c'est un toucher sportif vu que je m'en vais en courant quand elle
touche le col, c'est insupportable. Comment a-je pu supporter les toucher
toutes les heures à l'hôpital ??? Quoiqu'il en soit, elle
a quand même pu voir qu'il était à 8-9cm, donc que
c'était encourageant mais qu'il restait un peu de chemin. En même
temps je visualise mon col, la tête de mon bébé prête
à passer, ça me redonne du courage. Je cours, je grimpe
sur le canapé jusqu'au dossier, je râle, je crie, j'ai l'impression
d'être scandaleuse, que les voisins vont appeler les pompiers. Il
parait que je n'ai pas tant crié que ça en fait, mais j'en
ai ce vécu. C'est le seul moment où je pense au transfert,
je me dis que si là il y a un problème je suis totalement
intransportable, que là c'est à moi de jouer, un petit coup
d'œil vers le précipice en fait, un coup de vertige. Mais
je vois Juanlu et F. , ils sont là, et leur présence est
si forte que je détourne les yeux de la peur entraperçue
ces quelques secondes.
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Je
finis par me mettre à genou sur l'énorme pouf de ma sœur
appuyée contre la table avec mon homme parfois derrière
qui me masse, parfois devant qui me tient. Je lui crie que je l'aime,
je m'accroche à son regard, je me perds aussi dans la douleur.
Je pousse parfois depuis un moment, je sens quand le faire, en fait quand
je me laisse aller tout se passe mieux, mais j'ai du mal à lacher-prise.
Je demande de l'aide, et F. me dit que mon bébé arrive,
que mon bébé descend. C'est formidable de l'entendre, je
me souviens pourquoi je souffre, je répète "mon bébé"
derrière elle, la douleur prend un sens. Pour un instant seulement,
j'ai vraiment mal mais je sens qu'il descend qu'il est tout prêt.
F. perce la poche des eaux et d'un coup il est là dans mon sexe,
ça brûle c'est énorme je suis submergée j'ai
l'impression que je vais exploser je ne sais plus quoi faire, je vais
entre déchirée.
F. me rassure, "c'est ton bébé il est là"
et me dit d'attendre la contraction. Jamais elle ne m'a dit de pousser
ou pas, elle m'a laissé faire, et j'ai laissé mon corps
et mon enfant choisir.
Je m'accroche à nouveau à mon homme et à cet enfant
qui est en moi et qui sort, voilà la contraction et mon enfant
arrive, sa tête puis ses épaules dans foulée et dans
deux cris de bête pour moi, des sons inarticulés que je ne
me savais pas capable d'émettre, et soudain le bonheur me submerge,
je passe de la souffrance à la félicité.
Je me penche pour
découvrir Esteban posé là entre mes jambes, je le
prends et le met contre moi, il est chaud, il sent si bon, Juanlu est
là à coté de moi, il pleure, nous pleurons, nous
rions de sa beauté, de sa vitalité.
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Esteban
vient de naitre |
Il
apprend à respirer doucement dans de petits gémissements,
je lui dit de prendre son temps, je suis presque absurdement rassurée
qu'il soit relié au placenta, qu'il reçoive encore de l'oxygène
de mon ventre pendant que ses poumons se mettent en marche.
Nous allons vers mon lit, et au moment où je vais m'asseoir hop
le placenta sort. Je n'ai pas eu le temps de m'en inquiéter, tant
mieux ! Juanlu coupe ensuite le cordon, puis Esteban trouve le sein. Il
est 9h27 j'ai regardé ;-)
Je suis très émue par sa vigueur à téter,
quelle force il a déjà ! Il tête d'ailleurs si bien
que j'ai eu ma monté de lait 36h après sa naissance, après
les 5 jours que ça a duré pour Luna quel soulagement (bon
ce n'était pas un bon exemple après la semaine désastreuse
passée à l'hôpital où je n'avais soi disant
pas assez de lait et mes tétons étaient trop petits etc.,
mais quand même ça marque !)
Mon périnée est absolument intact, rien de rien. encore
une bonne nouvelle !
F. s'en va bientôt, j'ai un serrement au cœur quand elle s'en
va, merci merci de nous avoir permis de vivre ça, je voudrais la
serrer contre moi mais j'ai Esteban, nous nous embrassons.
Et voilà, nous
sommes tous les 3 dans notre lit, c'est évident, limpide, magique,
merveilleux, tendre et si doux.
En même temps
je sens profondément que le chemin que nous avons parcouru jusqu'à
cette naissance nous a changé, que rien ne sera jamais tout à
fait pareil. Cette décision était la notre, pour notre fils,
pour qu'il soit accueilli dans le respect et dans l'amour, pour que lui
soient épargnés les violences faites aux nouveaux-nés
à l'hôpital, mais plus nous avançons, plus nous découvrons
ce que lui nous donne, ce qu'il nous a apporté.
Ce qui semblait une fin en soi n'est qu'un début.
Et j'essaierai de garder toujours présents ces moments intenses
dans mon cœur aux moments difficiles, le courage et l'amour de mon
homme, la force et l'amour d'Esteban, la tendresse et l'amour de Luna,
ma famille qui me démontre chaque jour comme elle est unique, unie,
douce, qui me rappelle à chaque instant la chance que j'ai de les
avoir.
Première
tétée, 21h27 ;-)
A
4 jours
Voir
aussi : la naissance de Luna
Pour
aller plus loin:
le plus beau message de félicitations que nous
ayons reçu :
"Tu
as de la chance Esteban"
le 10 novembre à 10:14
Tu
as pris ton premier souffle sans qu'un tuyau ne vienne t'étouffer
pour t'aider soi-disant à mieux respirer
Tu as eu ton premier
regard sans que l'on ne t'éblouisse avec une lumière blafarde
et crue, afin, dit-on, de mieux t'observer
Tu as écouté
avec attention la nouvelle sonorité des voix de ta maman, ton papa
et ta grande soeur sans que des voix inconnues et fortes ne viennent te
perturber
Tu as senti la douce
odeur de ta maman et tu as pu la reconnaitre, sans qu'un produit désinfectant
ne viennent envahir tes petites narines si fragiles.
Tu as également
senti la peau de ta maman contre ta peau, sans que des mains glacées
ne te prennent pour te peser, te mesurer, te frotter, te laver...te faire
pleurer
Tu a bu son lait,
sans qu'une voix revêche ne vienne te dire : 10 mn, c'est la fin
de la têtée...d'ailleurs madame vous n'avez pas assez de
lait nous allons le biberonner
ESTEBAN
plus jamais tu ne penseras que cette Terre n'est pas un lieu doux et tendre
pour accueillir les enfants
bienvenue à
toi petit bébé !
Daniela
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